La multiculturalité, mythe ou réalité ?

Date de publication : 19-12-2010  
Il y a un an, les Assises de l’Interculturalité, décidées en mars 2008 par le Gouvernement, étaient lancées. Celles-ci devaient étudier et émettre des recommandations sur le comment vivre ensemble en Belgique entre les différentes communautés du pays. Le repli identitaire et communautaire avait atteint un niveau très inquiétant. Les dérives qui en résultaient étaient devenues incontrôlables.

Le débat pour la multiculturalité organisé par certaines formations politiques n’a pas tardé à dévoiler son véritable visage. En effet, il s’est, très vite, transformé en un appel à la chasse à la citoyenne portant le foulard. Les promoteurs de cette vision biscornue n’hésitent pas sur les moyens à utiliser pour arriver à leur fin ; pourquoi pas aller jusqu’à la Constitution et toucher aux libertés fondamentales qu’elle prévoit, parmi lesquelles la liberté de culte et de son exercice tant public que privé ?!

Ce 15 novembre 2010, le comité de pilotage de ces assises a rendu public son rapport. Différentes recommandations raisonnables, constituant un certain compromis dans le sens de l’amélioration de la coexistence des différentes cultures, ont été émises. Les levées de boucliers contre ce projet n’ont pas tardé à se manifester. Des voix se sont élevées pour revendiquer le maintien du système actuel de « castes » parmi la population et même des pétitions circulent en ce sens.

Après une année entière d’observation, le verdict est sans appel : il y a beaucoup trop de racisme en Belgique. C’est ce qui ressort de la déclaration explicite de Marie-Claire Foblets, professeur à la KUL et co-présidente du Comité de pilotage « Interculturalité » : « Ce que les Assises nous ont permis de faire, c’est d’écouter beaucoup de personnes et ce qui ressort, et c’est un témoignage très dur que je vais faire, c’est qu’il y a encore beaucoup trop de racisme ».

Si la professeure ne s’est rendu compte de cette réalité regrettable qu’après une enquête neutre et motivée, les victimes, essentiellement musulmanes, la vivent continuellement dans leur chair et dans leurs os. La stigmatisation permanente des valeurs et des coutumes musulmanes de la part des media a fait naître, dans notre environnement, une société ghettoïsée qui va à contre sens du monde moderne. Les nouveaux modes de vie tels le multiculturalisme et la mondialisation, nés de l’entrée en scène des nouvelles technologies ayant révolutionné notre monde et fait de celui-ci un village très étroit, ont créé chez ces réfractaires la nostalgie du Moyen-âge avec ses guerres de religions.

Beaucoup trop de racisme, vous dites ? Ceci est un fait reconnu de tous et personne aujourd’hui ne peut ignorer. N’est-il pas l’un des faits marquants qui caractérisent notre pays et qui est en train de provoquer sa désintégration ? L’existence des différentes institutions spécialisées en la matière telles que le MRAX ou le Centre de l’Egalité des Chances et de la Lutte Contre le Racisme, de même que la publication régulière des différents rapports faisant état des discriminations permanentes à l’encontre de certaines catégories particulières de la population, essentiellement en matière d’études et d’emploi, en sont-elles pas des preuves irréfutables ?

Si durant les années trente et quarante il était dur d’être juif en Europe, aujourd’hui c’est le musulman qui reprend ce triste sort. Celui-ci est toujours assimilé à l’étranger qui « doit retourner à son pays », à l’immigré qui « doit s’intégrer » et tantôt au fainéant qui ne veut pas travailler et qui ne fait que profiter des allocations sociales et tantôt à celui qui prend le travail des autres citoyens . Si la plupart des musulmans des années soixante étaient des immigrés, ce n’est plus le cas pour ceux des générations suivantes qui sont nés ici, qui y ont fait des études et qui participent à la vie socio culturelle et économique comme tout autre citoyen. Les déclarations ces dernières semaines, par certaines hautes personnalités belges et européennes, de l’échec de la multi culturalité ne peuvent qu’inciter à la prudence et à plus d’éclaircissements. Quelle est la signification de cet échec ? Quelles en sont les causes ? A qui incombe la responsabilité ? Et quels remèdes faudrait-il apporter afin d’aboutir au succès du multiculturalisme escompté ?

Pour apporter un début de réponse à la dernière interrogation, les Assises de l’Interculturalité sus-indiquées avaient émis certaines propositions que nous espérons soient suivies d’application. Ces « bonnes volontés » seront-elles suffisantes pour apporter la sérénité et la paix sociale au sein de notre société ? Au vu de la gravité de la situation, il est bien difficile de répondre par l’affirmative tant qu’on n’a pas traité le mal à la racine. L’éducation, tant scolaire que médiatique, est loin de former des esprits ouverts et tolérants. D’ailleurs, même en faisant abstraction de son hostilité à certaines communautés, notre enseignement qui se retrouve régulièrement sur la sellette au sujet de ses performances, est-il, encore, en mesure de former de vrais cadres capables de prendre les commandes d’un navire qui chavire de plus en plus? Les enquêtes internationales (PISA et autres) ont forcé nos dirigeants à la reconnaissance de la déficience de notre système d’enseignement. Que les programmes de celui-ci soient adaptés à la nouvelle réalité du monde, pour former des cadres tolérants, ouverts et justes ! Les campagnes médiatiques de dénigrement dirigées à l’encontre d’une communauté quelconque doivent faire partie de l’histoire et passibles de sanctions pénales!

Quant aux causes de l’échec, il faut aller les chercher dans les différentes politiques d’intégration menées durant des décennies et qui n’étaient que du bricolage ne faisant que camoufler les fossés que les media ne cessaient d’élargir entre les différentes communautés au lieu d’œuvrer à les faire disparaître. La stigmatisation médiatique permanente des valeurs de celui qui est différent a donné le grand coup de pouce à la banalisation de la discrimination et du racisme.

Revenons à la notion de l’échec du multiculturalisme. Qu’est-ce que cela pourrait-il signifier ? La cohabitation entre les communautés de différentes cultures, sensée être une source de richesse pour les uns et pour les autres du fait de la diversité des idées et des expériences ne parait plus être à la hauteur des espérances. Les faits marquants de cet échec sont visibles à l’œil nu et il ne fallait pas être une autorité académique ni un spécialiste de quelque domaine que ce soit pour les apercevoir. Les préjugés portés par chaque communauté sur l’autre, les discriminations à l’emploi et aux études ne sont que certains parmi d’autres aspects de cet échec.

Les injustices subies par les membres des cultures minoritaires sont en passe de rentrer dans les mœurs. Il ne suffit plus d’être belge, ni de parler français, ni d’avoir des diplômes ni d’être musulman ou chrétien, ni d’être blanc ou noir. Etre francophone en région flamande ou être musulman en région wallonne, la discrimination est toujours au rendez-vous. Aujourd’hui, par exemple, la fille au foulard pourrait-elle aspirer à des études sérieuses ou à un emploi de qualité ? Lui reste t-il, encore, l’une ou l’autre porte non verrouillée pouvant lui donner l’espoir d’un certain avenir? Les lois d’exception à son égard l’ont privée de ses droits les plus élémentaires.

De telles injustices qui, malheureusement, sont loin d’être des actes isolés, ne pourraient en aucun cas favoriser l’entente et le vivre ensemble. La marginalisation de l’autre et son rejet ne pourront mener qu’à la haine et au cloisonnement, loin de toute notion de multiculturalité. Les multiples débats au sujet de « l’identité française » ou de sa version belge « l’identité wallonne » ne pourraient que s’inscrire dans le cadre d’un retour en arrière vers la ghettoïsation de notre société après les multiples démarches destinées à l’abolition des barrières et des murs de haine que l’humanité avait connus à des époques très peu glorieuses de son histoire.

Jean Monnet et Robert Schuman, les pères des « Etats Unis d’Europe » avaient-ils imaginé ce que leurs héritiers allaient faire de leur projet ambitieux de l’union pour la force ? Avaient-ils pensé que les pays fondateurs de cette union, dont rêvent beaucoup de nations, allaient imploser sous l’effet de l’intolérance culturelle ? Les intérêts communs qui étaient jadis les moteurs de l’ouverture et de la solidarité, se retrouvent aujourd’hui relégués au second plan et par suite menacés par le règne des nouveaux intégrismes socio-culturels.

Enfin, nous ne pouvons que nous réjouir de la place importante que ce rapport réserve à l’enseignement en vue de parier à la dégradation de la qualité de la cohabitation entre les communautés de cultures différentes. En effet, c’est par l’école que l’essentiel de l’éducation à la citoyenneté est dispensé aux femmes et aux hommes de demain.

Pour lire le rapport des Assises de l'Interculturalité, cliquez sur :

http://www.interculturalite.be/IMG/pdf/INTERCULT_2010-FR.pdf

Auteur : Mohammed Said


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