Et les pharaons s’écroulent

Date de publication : 10-03-2011  
En ce début d’année 2011, de grands bouleversements secouent notre monde. Les peuples arabes, longtemps sous des dictatures des plus ignobles, décident enfin d’en découdre. La révolution qu’ils mènent, déjà plus de deux mois, a pris tout le monde de court. Son caractère spontané, la détermination de ses sujets et la rapidité de ses résultats ont mis en déroute les prévisions des spécialistes les plus chevronnés. Le sérieux revers que ces derniers ont essuyé ne fait que refléter la grande valeur des acteurs de cette révolution hors pair.

Le Conseil Supérieur des Musulmans de Belgique tient à rendre hommage à ces jeunes et moins jeunes qui ont décidé de rompre avec un passé humiliant, en plaçant au sommet de leurs priorités leur dignité et leur liberté dont ils étaient longtemps privés. Nous saluons leur courage ayant permis à toute une nation de voire le jour après qu’elle était enfouie dans les décombres de l’histoire, ravivant ainsi ses valeurs islamiques, qui prescrivent la dignité à tout être humain, indépendamment de son origine ethnique ou philosophique, comme précisé dans le verset suivant :

" ولقد كرمنا بني آدم "

« Certes, Nous avons ennobli les fils d’Adam ».

Ainsi, en rendant justice à un juif atteint dans sa dignité de la part d’un dignitaire musulman, le calife Omar ibn Al-Khattab lance sa célèbre formule :

"متى استعبدتم الناس وقد ولدتهم أمهاتهم أحرارا؟ "

« Depuis quand avez-vous fait des hommes esclaves,
alors qu'ils sont nés de leurs mères libres? »

Après plusieurs décennies de son édification, le voila à son tour et à l’image de ses prédécesseurs qui avaient connu le même sort, le mur de la peur derrière lequel se barricadaient les dictateurs d’une autre époque, s’écroule mettant à nu les châteaux de paille qui abritaient ces derniers. L’oppression excessive et sauvage a finalement déclenché la colère des peuples qui à son tour a fait sonner le glas de l’asservissement aveugle. La reconquête de la liberté et de la dignité a été décidée sans se soucier du prix à payer. En effet, la liberté n’a pas de prix. Et voilà que des milliers, plutôt des millions de déshérités déferlant dans la rue en quête de leurs droits spoliés et dont la plupart n’ont jamais connus.




La célèbre place Tahrir du Caire regroupant quelques 2 millions de manifestants, le vendredi 11 février 2011, le jour de la chute du régime Hosni Moubarak.

A peine l’année 2010 commençait à faire ses adieux et à plier ses registres où se trouvaient confinées de nombreuses catastrophes et beaucoup d’injustices, comme à l’accoutumée, que le monde est surpris par l’arrivée d’un vent d’espoir, un vent de libération pour des peuples considérés jusqu’ici, par leurs gouvernants, comme étant très dociles et sous contrôle.

Bernés par leur arrogance et émerveillés par les plaisirs qui les enveloppaient des pieds à la tête, ces malheureux se retrouvent noyés dans l’affairisme et la corruption et surtout dans la non reconnaissance au Bienfaiteur qui a étalé sur eux Ses bienfaits, à l’image du détenteur des deux jardins que nous rapporte le Coran dans les versets suivants :

" قال: ما أظن أن تبيد هذه أبدا، وما أظن الساعة قائمة "

"il dit : "Je ne pense pas que ceci puisse jamais périr,
et je ne pense pas que l'Heure viendra."

L’égarement est total et l’ébriété sans commune mesure. Le peuple est piétiné, la justice bafouée et les promesses données au début du règne très vite oubliées. Les changements qui s’opèrent dans le monde autour d’eux ne les faisaient que s’enfler d’orgueil. La chute des dictatures, dans les différentes contrées, ne parait leur donner aucune leçon. Quoique l’arrivée de la plupart d’entre eux au pouvoir ait eu lieu après des événements sanglants, leur confiance en leur pouvoir est sans limite.




S’appuyant sur des armées détournées de leur mission initiale celle de veiller à l’intégrité du pays et à sa défense de toute agression extérieure à celle de la protection du dictateur et de ses intérêts, et sur des mercenaires parmi les puissances occidentales avec lesquelles ils partagent la notion d’intérêt, les leaders arabes se croyaient forts et inébranlables. La sénilité les ayant atteints durant leurs longs règnes les empêche de tirer profit des leçons qui leur sont dispensées à travers les différents événements qui secouent notre monde. Ces misérables prenaient plaisir à voir défiler, devant leurs yeux, les années et les décennies, sans contestation sérieuse de leurs administrés terrassés par la culture de la peur. Dix, vingt, trente, quarante années de pouvoir! C’est encore peu. Il faut rester jusqu’à la mort et pourquoi pas jusqu’après la mort ?

Les voila, finalement, après de nombreuses années d’injustice et de mépris à l’égard de leurs peuples, dans la tourmente. N’étiez-vous pas avertis ? Ils l’étaient certainement, mais ils s’en moquaient. Et le Coran de leur rappeler leurs hallucinations :

" أو لم تكونوا أقسمتم من قبل مالكم من زوال ؟ وسكنتم في مساكن الذين ظلموا أنفسهم،
وتبين لكم كيف فعلنا بهم، وضربنا لكم الأمثال"

« N'avez-vous pas juré auparavant que vous ne deviez jamais disparaître ?
Et vous avez habité, les demeures de ceux qui s'étaient fait du tord à eux-mêmes.
Il vous est apparu en toute évidence comment Nous les avions traités
et Nous vous avons cité les exemples. »

Insoucieux de l’avenir de leurs pays et de leurs peuples, ces despotes subissent aujourd’hui l’exacerbation de leurs administrés. Par une révolution exemplaire, ces derniers sont en train de donner un coup de balai aux corrompus et à leurs régimes.

C’est une révolution exemplaire à plus d’un titre.

Elle l’est par le pacifisme qui l’avait caractérisée et qui avait ébahi le monde, surtout occidental qui, jusqu’ici, ne voyait en cette partie du monde qu’un lieu de violence et de terrorisme.

Contrairement à toutes les attentes, les protestataires sont apparus beaucoup plus organisés et plus civilisés que la mafia du pouvoir dont la barbarie n’avait pu passer inaperçue avec ses énormes dégâts matériels et ses nombreuses victimes humaines à l’image de cette voiture diplomatique américaine blindée qui fonçait, dans une course folle, sur la foule, laissant derrière elle beaucoup de victimes. Après l’incident, la voiture a été déclarée volée de l’ambassade américaine au Caire. La guerre déclarée, avec du matériel de combat, menée par le régime libyen contre son peuple ne fait que confirmer la barbarie de ces régimes qui n’ont de soucis que pour leurs trônes. La répression des manifestations, par certains régimes, avec des moyens très peu conventionnels, ne sont que d’autres preuves de la barbarie de ces régimes moyenâgeux.



Cette révolution est aussi exemplaire par son caractère exclusivement populaire et local. Toutes les couches sociales y sont représentées et surtout aucune force extérieure n’a trouvé de place pour apposer son label ou détourner ses objectifs. Par sa durée très réduite et la fermeté de ses adeptes, cette révolution n’a donné aucune chance aux forces étrangères d’intervenir en faveur de leurs protégés et corrupteurs. Le soutien du bout des lèvres qui leur était extirpé, une fois devant le fait accompli, aux lendemains de leurs propositions de voler au secours des dictatures moribondes, suscite bien des questions.

Les largesses alléchantes, que les dictateurs dénués de toute légitimité n’hésitent pas à accorder à leurs protecteurs, sont souvent suffisantes pour établir un voile entre ces derniers et les valeurs démocratiques qu’ils prétendent détenir et vouloir transmettre au reste du monde. Des vacances somptueuses, aux contrats de fourniture des richesses du pays à des prix dérisoires défiant toute concurrence, tout est permis pour protéger le trône, même s’il faut sacrifier la moitié du peuple.

Face à la multiplication des scandales de ce type, des mesures inhabituelles commencent à voir le jour. Ainsi, le président Sarkozy dont certains membres du gouvernement avaient profité des générosités des deux régimes déchus, incite ses ministres à passer leurs vacances dans l’hexagone. Quant au président de la Commission européenne, il présente à son équipe un nouveau code de bonne conduite, qui se résume aux règles suivantes :

  • « Pas d'invitations dĂ©passant les normes de "l'usage diplomatique et de la courtoisie".

  • Pas de cadeaux de plus de 150 euros. Pas de nuit d'hĂ´tel dĂ©passant 300 euros.

  • Pas de vols sur des avions privĂ©s, ou

  • d'usage irrĂ©gulier d'une voiture de fonction avec chauffeur »





Comment pourrions-nous expliquer la vente du gaz égyptien, à un prix défiant toute concurrence, à moins du tiers du prix officiel, pour un Etat qui est loin d’être ami, alors que le pays sombre dans la pauvreté ? Qui pourrait comprendre l’octroi d’une manne annuelle de plus de 3 milliards de dollars (selon la chaîne El-Jazeera) à quelqu’un qui n’en a pas besoin alors que le pays souffre de pauvreté avec plus de 34 millions de personnes (40% de la population totale) vivant en dessous du seuil de pauvreté ? Pour rappel, l’aide américaine annuelle s’élève à 1.3 milliards de dollars dont la majeure partie est destinée au matériel militaire, autrement dit aux caisses américaines.

Que dire, d’autre part, des chanteuses qui, en une nuit reçoivent un million de dollars et plus, un salaire que la majorité de la population n’arrive pas à percevoir durant toute une vie de travail ?

Combien ces peuples déshérités ont-ils supporté l’oppression et la spoliation de leurs richesses de la part de ceux qui les gouvernent à un tel point que ces derniers avaient pensé qu’ils régnaient sur des populations inertes ! Ils s’étaient permis alors de les écraser et de les avilir. La méthode n’a pas changé depuis des dizaines de siècles. Ainsi, le Coran nous rapporte le comportement arrogant des prédécesseurs des dictateurs actuels :

" و نادى فرعون في قومه، قال: ياقوم،
أ ليس لي ملك مصر، وهذه الأنهار تجري من تحتي، أفلا تبصرون؟ "

« Et Pharaon fit une proclamation à son peuple et dit :
"Ă” mon peuple ! Le royaume de Misr [l'Egypte] ne m'appartient-il pas ainsi que
ces canaux qui coulent à mes pieds ? N'observez-vous, donc, pas?”


Ainsi, ces tyrans considèrent-ils tout le pays et ses richesses comme étant leur propriété privée. Elle ne profite finalement qu’à Pharaon, sa suite et aux personnes qu’il considère comme étant les protecteurs du trône. Quant au reste de la population, ils ne doivent que se satisfaire de la privation qu’ils ont été convaincus être une fatalité.

Dans ce contexte particulier, durant un moment d’éveil, le peuple égyptien ainsi que les autres peuples arabes entendent leur frère tunisien entonner le refrain de la liberté :











فَلا بُدَّ أنْ يَسْتَجِيبَ القَـدَر إذا الشّعْبُ يَوْمَاً أرَادَ الْحَيَـاةَ
وَلا بُدَّ للقَيْدِ أَنْ يَـنْكَسِـر وَلا بُـدَّ لِلَّيـْلِ أنْ يَنْجَلِــي
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Lorsqu’un jour le peuple décide de vivre
Le destin n’a d’autre issue que d’exaucer sa volonté
Les ténèbres n’auront qu’à se dissiper
Et les chaînes qu’à se fracasser.

Les yeux s’ouvrent sur une nouvelle réalité. Les esprits sont caressés par une brise d’espoir. Le courage les saisit et l’honneur les emporte vers le front en quête de la liberté qu’ils n’ont finalement jamais connue mais dont ils connaissent les vertus grâce aux nouvelles technologies et l’ouverture permanente sur le monde qu’elles permettent.

Il n’aura fallu que 18 jours, seulement pourrait-on dire, comparé aux 28 jours en Tunisie, pour démanteler un règne de trente années de dictature et de corruption, qui paraissait solidement enraciné dans un environnement où l’autoritarisme fait légion. Son effondrement rapide a été fracassant. Il est vrai que les révolutionnaires de la place Tahrir avaient profité de l’expérience de leurs frères tunisiens qui leur avaient planifié le chemin. Néanmoins, la dimension géographique et les enjeux stratégiques de l’Egypte lui donnent une importance particulière et rendaient tout basculement vers la démocratie très peu probable et d’ailleurs très peu n’y croyaient il y a quelques semaines. Les points d’appui, auprès des grandes puissances, sur lesquels comptait le dictateur, avaient très vite lâché face au ras de marais du peuple bien décidé à en découdre avec un régime qui n’a cessé de l’appauvrir et de l’humilier chaque jour davantage.

Le 14 janvier, le 11 février 2011, deux dates, auxquelles viendront s’ajouter d’autres, qui resteront gravées dans la mémoire de l’histoire comme symboles de la libération des peuples. Dans l’espace de moins d’un mois, deux dictatures s’effondrent pour laisser derrière elles une atmosphère prometteuse pleine d’espoir pour les peuples encore sous l’oppression et l’injustice. Deux autres dictatures parmi les plus anciennes et les plus tenaces sont en phase de basculement. La rage de leurs leaders est à son paroxysme. Leurs jours sont comptés.

Pour revenir aux dictateurs déjà déchus, ils étaient à l’image de leurs prédécesseurs, les pharaons d’Egypte, et leurs collègues des pays arabes, très despotiques avec une extrême arrogance. L’état d’urgence, décrété dans le pays dès leur arrivée au pouvoir combiné au caractère policier de leur pouvoir, a muselé toutes les sources d’opinions qui leur expriment une quelconque opposition, une pratique courante de tout pouvoir autoritaire et rétrograde et qui, de nos jours, commence à inspirer d’une certaine manière nos démocraties occidentales. Ainsi, nous rapporte le Coran :

" قال فرعون: ما أريكم إلا ما أرى وما أهديكم إلا سبيل الرشاد "

« Pharaon dit : "Je ne vous indique que ce que je considère bon et
je ne vous guide qu'au sentier de la droiture". »

La flamme de la liberté a été allumée à Sidi-Bouzid, en Tunisie le 17 décembre 2010. Elle atterrit le 25 janvier à la place de la Libération (Tahrir), au Caire, pour s’envoler à partir du 12 février, avec mission accomplie, vers une autre destination qu’elle a choisie selon des critères propres. La Libye et le Yemen ont bien voulu accueillir cet invité de marque. En tout cas, Le monde arabe foisonne de candidats potentiels susceptibles d’accueillir cette honorable flamme avec une grande fierté et avec tous les honneurs. Les lieux symboles visités par cet invité prestigieux ne déçoivent, généralement, pas. Elle ne quitte les lieux qu’une fois l’objectif atteint. La liste des lauréats est déjà dressée et les compétitions éliminatoires sont en cours en ces temps-ci.




Cette flamme est la hantise des despotes dont l’excès de confiance en leur système de répression les aveugle complètement de telle sorte qu’ils ne prennent aucune mesure sérieuse pour échapper à son emprise. L’abaissement des prix de certaines denrées ne suffit plus à calmer l’appétit des populations. Leur appétit n’est plus à calmer le vide de l’estomac auquel ils ont pris l’habitude, mais à étancher leur soif à la liberté qui leur a été volée, pour la plupart dès leur naissance. La puissance du feu dont se plaisent les dictateurs agonisant ne fait plus peur à des populations qui ont bien compris la valeur et le prix de la liberté.

Cette flamme aurait pu être évitée si les tyrans disposaient d’un minimum d’intelligence. Une décision de démocratisation sérieuse prise à temps aurait pu permettre à ces derniers de quitter le pouvoir avec tous les honneurs et le minimum de dommage. Aujourd’hui, il est trop tard. Le déferlement a pris son envol et rien ne semble pouvoir l’arrêter. De pareilles offres arrivées en fin de course n’avaient été d’aucune utilité aux deux dictateurs déchus, qui d’ailleurs étaient contraints à l’exil le lendemain de leurs proclamations.

Les nouvelles offres de démocratisation et de plus de liberté proclamées par la plupart des régimes arabes, en sursis, suffiront-elles à calmer la rue et à leur accorder une porte de sortie honorable ? Pour certains, l’offre a déjà été rejetée.

Si l’histoire a réservé des pages d’honneur aux grands événements ayant été à l’origine des grands changements qui avaient marqué le monde, la révolution des peuples arabes de l’année 2011 ne manquera pas de se frayer un chemin vers les places les plus prestigieuses.

La révolution arabe de 2011 qui marque le réveil des peuples arabes après des siècles de sommeil les ayant amenés au fond de l’échiquier politique mondial, ne manquera pas à rivaliser avec la révolution française de 1789 qui a marqué le début de l’ère des lumières, en Europe. Si l’histoire glorieuse des peuples arabes s’était arrêtée à la chute de Grenade, en 1492 ; l’année 2011 sera la date du retour de ces peuples en tant que de véritables acteurs de l’histoire après l’instauration progressive de la démocratie dans ces pays qui avec le temps sont devenus les symboles de la répression et de l’absence des droits de l’homme.

Le peuple tunisien a été honoré de la médaille d’or des peuples arabes libres. Le peuple égyptien a décroché la médaille d’argent. Tous deux commencent à savourer les fruits de leur victoire, tandis que d’autres continuent à se battre pour retrouver leur liberté. Qui sera l’heureux lauréat de la médaille de bronze ? La concurrence fait rage et empêche les tyrans de trouver le sommeil.



Auteur : Mohammed Said


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